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Natacha Vellut


Néonaticides : des cris dans le silence

 

 La notion de néonaticide désigne le meurtre d’un nouveau-né à la naissance, soit dans ses premières 24 heures de vie. La caractéristique commune des grossesses qui précédent ces néonaticides est qu’elles sont tues. Ce sont des grossesses sans parole, sans voix. Elles se vivent dans le silence. « Je voulais lui dire, ça sortait pas » énonce cette mère de 23 ans. Ces femmes ne peuvent parler de leur grossesse, parler de leur enfant à venir. Elles ne peuvent même pas y penser. « J’ai fait comme si j’étais pas enceinte », révèle cette mère de 36 ans, enceinte de son 2eme enfant.

Ces grossesses qui ne sont pas parlées, voire pas pensées, ne sont pas vues. Ni voix, ni regard. Pas entendu, pas vu. Pas entendu, pas vu, pas pris, puisque on peut dire d’une femme enceinte qu’elle est prise. « Personne ne voit rien » constate cette femme enceinte pour la 1ère fois, qui la veille de l’accouchement fera un jogging avec le père de l’enfant. Ces femmes reprochent à leur entourage de ne pas parler, de ne pas voir. Elles espèrent que les autres parlent, que les autres voient. Dans ce silence des voix, l’acte cherche à faire entendre une parole : une femme achète des petits souliers d’enfant en présence de son compagnon sans se résoudre à lui annoncer sa grossesse.

L’enfant à naître n’est pas nommé, pas parlé, pas sexué (dans certains cas les mères ne voient même pas de quel sexe était l’enfant). L’enfant à venir n’est pas adressé à un père, à une grand-mère, à un autre, à l’Autre avec un grand A que Lacan désigne comme le lieu de la parole, le registre symbolique qui détermine le sujet. Aussi quand l’enfant naît, son cri est un surgissement de l’insupportable. Le cri est dénié : « j’étais sûre que l’enfant était mort parce qu’il n’a pas crié » dit cette mère de 29 ans qui jette son nouveau-né à la poubelle. Le cri est étouffé : « Les enfants ils ont pleuré un peu mais enroulés dans le drap ça faisait un petit bruit sourd en fin de compte », dit cette mère coupable de plusieurs néonaticides. Le cri est étouffé jusqu’à l’extrême puisque dans de nombreux cas la mort est provoquée par une asphyxie ou une noyade. Il s’agit de faire taire les cris de l’enfant qui trahissent la réalité de sa naissance. Il faut éliminer ce cri qui donnerait consistance à cette naissance, à ce corps autre, à cette voix autre.

Pourquoi le cri, cette émergence pulsionnelle, cette dimension réelle de la voix, est-il proprement impossible dans ce silence, dans cette absence d’Autre ? Que représente-t-il ? En quoi le cri est-il l’instant zéro d’un sujet qui ne pourra pas advenir ? La dimension réelle de la voix, le cri, ne dure que de brefs instants dans la vie d’un sujet puisque dès que l’Autre répond à ce cri, il le transforme en appel, appel qui sera le prototype de toute demande. C’était un cri, cela devient une voix. C’était du réel, ça devient de l’imaginaire et du symbolique. Pourquoi le réel de la grossesse en l’absence d’articulation aux registres imaginaire et symbolique ne peut-il donner naissance à un enfant ? Pourquoi en l’absence de nouage imaginaire et symbolique, la grossesse perd-elle sa signification ? Ce sont ces questions que nous tenterons d’articuler.

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