Les lombes de la voix

Présentation de la journée

De l’autre-côté de la voix ? La voix aurait-elle donc un revers caché pour qu’elle soit interrogée ici ? Existerait-il une autre face, ou un autre visage de la voix derrière son masque audible de la vocalité ? Ou bien alors, une autre voix inaudible qui viendrait parler une autre langue ? « De l’autre côté » ? Il pourrait aussi s’agir là de la traduction littérale du jenseits allemand souvent traduit par « au-delà » (Au-delà du principe de plaisir…).
Faisant chœur autour de cette table, et pourtant chacun d’une voix singulière, c’est bien notre objectif tout au long de cette journée de nous faire les Christophe Colomb des contrées, des côtés, des autres côtés, et des « a-côtés » de la voix.
Ce matin, il s’agira de se mettre à l’écoute, derrière l’audible de la voix, d’un inaudible de la voix, enfoui dans les lombes du corps, dans les limbes de la parole, mais d’où pourtant elle pulserait en sourdine, en crescendo, ou encore par sforzando, du fait de l’appel et de l’adresse à l’autre
Cette après-midi, il sera question de son odyssée qui la conduit, de l’émergence depuis les limbes de la langue jusqu'à son jaillissement à l'opéra, tout en suivant son surgissement à l’ombre de la pulsion et du désir.
Et ce soir, les tenants des « deux côtés de la voix » pourront laisser résonner un certain Cri de l’Ange en sa version sonore, littéraire, et littérale, dans un autre littoral qui aura pour nom ce soir l’église Sainte-Rosalie

Mais de l’autre côté de ce colloque, et de part et d’autre de cette table il y a toute une série de remerciements que j’aimerais formuler à défaut de vocaliser.
Merci aux intervenants qui ont répondu à l’appel de ma voix, venant honorer de leur présence et de leurs réflexions cette première rencontre pour tenter de dresser esquisses et portraits d’une « voix autre ».
Et merci au public qui en prêtant l’oreille donne voix à ceux qui n’ont plus qu’à la prendre
Avant de leur passer la parole, et donc de faire taire un certain côté de ma voix, j’aimerais introduire cette matinée par quelques réflexions sur le titre choisi.

Présentation de la matinée

Les lombes : un mot qui sonne mal, jetant de l’ombre sur la voix qui voudrait pourtant lui donner vocalité, et porter ce terme vers l’oreille de l’autre.
Les lombes rappellent l'origine médicale de la première journée mondiale de la voix qui a eu lieu au Brésil en 1999. Il s'agissait là-bas pour la médecine et plus spécialement la phoniatrie d'entrer en dialogue avec les musiciens et les orthophonistes pour faire entendre quelque chose des pathologies vocales.
Les lombaires découpent le corps de chaque côté de la colonne vertébrale en cette zone appelée carré des lombes qui a également un rôle - outre la flexion du tronc - dans le mouvement expiratoire du souffle. Ce carré des lombes s’insère au niveau des vertèbres lombaires L1 à L4 et comprend donc celle de la vertèbre L.3 où s'attache le diaphragme.
Mais les « lombes », à bien l’entendre, c’est l’amorce du mot l'ombilic, l’ombilic de l’ombilic en somme. Mais c’est aussi, en sa version morphologique comme symbolique, cet autre côté de l'ombilic, là où - dans les limbes du souffle - surgit la voix. La voix sonore, celle qui porte notre parole depuis notre premier cri jusqu'à notre dernier souffle.
Mais les lombes, à bien y prêter l'oreille, en appellent à l'ombre - ombre privée du « R » - et qui n'est pas sans évoquer un défaut d'élocution récurrent chez l'enfant en bas âge. A cette époque où la parole tente de surgir des limbes de la voix, et de « lalangue », sorte d’ombre portée par la voix sur la parole, ou plutôt portée au cœur même de la parole quand elle s'adresse à l'autre. Cicéron ne parlait-il pas de cantus obscurior de la voix désignant ainsi cette part chantée et chantante inscrite au cœur-même de la parole.

Mais les lombes consonnent avec les « limbes » mot consacré par les théologiens pour désigner un séjour des morts, lieu d'attente sans souffrance de la rédemption aussi bien pour les justes de l'Ancien Testament que pour les enfants morts sans baptême. Lieu palliatif d'un entre-deux morts, à tel point que « sortir des limbes » c'est aussi échapper à un état incertain, indécis, qui est à traverser dès les limbes du réveil, et dont on trouvera un écho dans le dernier ouvrage de Pontalis : l’Enfant des Limbes.
Le christianisme donnant un autre visage à l'au-delà, invente ainsi un mot pour désigner le statut de celui « qui est déjà mort »: les limbes
Lieu d'immixtion topologique où les lieux du corps comme les définitions s'emmêlent, mais qui tente plus d'un poète pour donner titre à son œuvre. Nous pensons à Baudelaire qui aurait voulu donner ce titre : « Les Limbes » à ses « Fleurs du mal », ou encore à René Char et Verlaine qui titrent ainsi un de leurs poèmes. Dans son poème « dans les Limbes » Verlaine, après avoir fait allusion en quelques vers à la virginité, évoque ce lieu blême où sanglote le jour, là où « non baptisés du platonisme patient font, pitoyablement, criant et pleurant mes désirs brisés ».

Les désirs… Le désir… Car sous l'assonance, c'est bien le désir qui relie les deux mots « lombes » et « limbes » car l'étymologie nous rappelle que le terme « lombes » est emprunté au latin lumbus, qui signifie aussi bien un rein, que le dos, ou l’échine. Et souffrir des reins c’était autrefois - mais peut-être encore aujourd'hui – désigner métaphoriquement le lieu où le désir sexuel venait faire symptôme.

Alors, de l’autre côté de la voix, quel « autre » ? et quel désir ?

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